Cette semaine décidément n’aura pas épargné la littérature. La nôtre, tant au nord qu’au sud du pays, est en deuil depuis l’annonce du décès de notre second grand Jacques. Jacques De Decker a rejoint ses maîtres. Inlassable arpenteur des confins de la littérature, critique lucide d’une incroyable érudition, romancier, dramaturge, il était, pour nous tous qui nous piquons de littérature, le témoin d’une vie passée à naviguer sur toutes les mers littéraires. La bibliothèque de Saint-Josse-ten-Noode ne pouvait oublier le fabuleux cadeau qu’il nous fit, il y a un peu plus d’un an lors de son dernier déménagement, en nous faisant don d’une partie de sa bibliothèque de théâtre. Il se souvenait en effet de ses débuts dans le monde théâtral et de l’exceptionnelle destinée du théâtre de L’esprit frappeur qui est né à deux pas de la bibliothèque, rue Josaphat. Il le signalait d’ailleurs dans sa préface au récit de cette aventure : « l’éclosion du Théâtre de l’Esprit Frappeur est d’une importance première: c’est là que fut mis à feu ce qui deviendrait le jeune théâtre belge dont les déclinaisons se succéderaient jusqu’en l’an 2000 ». Mille livres environ qui rejoindront donc les collections de la bibliothèque et que nous ne manquerons pas de mettre en valeur dès que possible, en sa mémoire. Toujours à l’écoute des initiatives mettant à l’honneur la littérature, toujours sincère et disponible malgré son agenda débordant, nous avions tissé avec lui une certaine complicité depuis plusieurs années. On se souviendra peut-être de cette merveilleuse soirée ici à la bibliothèque autour de la figure trop oubliée de Raymond Ceuppens, prix Rossel 1982 pour son roman L’été pourri. Jacques ne manquait jamais une occasion de parler des auteurs, des écrivains qu’il avait étudiés, lus ou connus et dont il saluait le travail avec cet enthousiasme des premières lectures. Avec l’humilité qui le caractérisait, sans doute ne parlait-il pas assez de sa propre production de romancier, d’essayiste, de biographe mais en parlant si bien des autres, il nous donnait les clefs pour mieux saisir les enjeux du créateur qu’il était aussi. La période troublée que nous vivons est peut-être le moment de se replonger dans cette œuvre variée et protéiforme (https://www.jacquesdedecker.com/).

Plus personnellement, je me souviens de plusieurs soirées passées en sa compagnie au moment de reprendre sur les rayonnages de ma bibliothèque quelques-uns de ses livres qu’il me dédicaça. La dernière en date, en 2018, lors d’un dîner littéraire que j’animais à la Maison de la Francité autour de son parcours de critique et d’auteur. Un moment inoubliable qui rend compte certainement de l’extrême acuité du lecteur qu’il était et que l’on peut revoir en ligne :  https://www.francite.tv/?s=0000&v=2

La littérature belge est en deuil, son meilleur défenseur s’en est allé. Pour le remercier de cet engagement d’une vie, quoi de mieux que de cultiver notre curiosité en nous tournant plus que jamais vers les nouveaux confins de notre littérature.

Salut Jacques et merci !

Rony Demaeseneer